Rencontre avec l’un des créateurs du spectacle, et magicien du carton, Pierre Guillois

Cabaret de carton et précision d’horloger

Tandis qu’un gringalet en slip de bain – Pierre Guillois -, s’agite avec plus de quatre cents cartons pour dessiner les fjords de Norvège et la Sierra Nevada, un ventripotent cravaté, interprété par Jonathan Pinto-Rocha, raconte son épopée : à la suite d’un malencontreux accident de pêche, il suit éperdument les traces d’une sirène aguicheuse à grelots, cheveux et queue cartonnés…

 

Comment est née cette idée folle de créer un cabaret de carton ?

 « Avec mon compère depuis 17 ans,  Olivier Martin-Salvan,  – et avec l’audace qui nous caractérise (rires) –  nous avons eu l’envie de prouver que notre idée folle d’utiliser des cartons comme accessoires était on-ne-peut-plus féconde et qu’elle pouvait accoucher d’un spectacle sacrément réjouissant. D’abord, parce qu’en tant que comédiens professionnels on a un goût prononcé pour toutes les formes qui ont moins de noblesse que le théâtre, comme le cabaret ou l’opérette. Sauf qu’ici, c’est vraiment du théâtre et pas du cabaret, sauf qu’on est on est dans une série de numéros, sauf que c’est un grand numéro d’un duo pendant une 1h20 avec du carton comme accessoire principal !

En fait, j’ai déjà fait beaucoup de spectacles qui flirtent avec ces formes parce que je trouve qu’en allant dans ces zones-là, on fait faire de grands écarts, très salutaires, au théâtre. Ensuite, ce qui nous intéressait, c’était l’idée de se dépouiller de quelque chose, d’être plus à nu, quasi dans l’ “Arte povera”, et de mettre l’acteur au centre de tout, seul avec son imaginaire et ses inventions :  là où il n’y a que lui qui peut sauver la situation. Je pense que ça fait partie des éléments du succès de ce spectacle dans lequel les spectateurs jouissent de façon très immédiate de la situation, de ce “à partir de rien”. C’est en fait le luxe du pauvre. On n’a rien, on n’a que l’imagination débridée du comédien et l’imaginaire de spectateur.

Pour l’usage des cartons, outre l’incroyable liberté offerte par le procédé, on est dans la même idée du dénuement. Marrons, ingrats, mais malléables à l’envi, ils sont le combustible de ce spectacle. Ceux avec lesquels on aimait jouer, gamins, que l’on transformait en épée romaine, en magasin ou en cabane digne des Trois petits cochons. Du supercarburant pour un retour en enfance ! Car c’est aussi à notre âme d’enfant que s’adresse le spectacle.»

 

Pourquoi parle-t-on de « slapstick » concernant votre spectacle. Kezako ?

 « En France, qui n’est pas la Belgique, on a peu de référence théâtrale de tout ce qui est qui est non textuel. En France, le texte est tout. De mon côté, cela fait des années que je travaille à m’extraire du texte pour justement pouvoir déployer d’autres vertus et d’autres capacités, d’autres puissances scéniques. Et le “splastick “, c’est un genre comique, plus physique, burlesque, que font très bien les Anglo-Saxons pour qui il s’agit d’une tradition d’où sont issus Charlie Chaplin, Jim Carrey, Mr Bean… Ce qui me convient très bien sur scène, et dans la vie, car j’ai toujours été un « grimacier », avec mon visage et avec mon corps ! »

 

C’est le duo, plein de contraste, que vous formez sur scène avec Jonathan Pinto-Rocha qui fait énormément et pratiquement rire tout le temps….

 « Ici, on entre dans le mécanisme du rire : un duo peu probable fait d’un gros type et d’un type maigre. Le gros, l’aristocrate, au centre de tout, et moi, derrière, le brave type soumis en maillot de bain – et en grande forme – qui façonne son improbable voyage. Et des cartons, plus de 400 ! Des gros et des petits, des simplissimes et des sculptés, figurant, tout à la fois, le soleil ou l’orage, une éclaircie ou le crachin, un requin ou une bouée, un avion ou un parachute, une baleine ou une otarie, une marmotte ou une vague, des WC ou une prison, une canne à pêche ou un marteau, un lac gelé ou un palmier. En réalité, sous son air de jeu d’enfant grandeur nature, notre procédé est bourré d’inventivité et notre mécanique scénique dotée d’une précision d’horloger…. On a déjà joué la pièce plus de 200 fois devant tous les publics. Pour en profiter, il suffit juste de savoir lire ! »

 

Désopilants, ces clowns sans nez rouge ni godasses de gugusses mais à l’énergie dingue font crever de rire sans discours et sans relâche pendant une heure vingt minutes. Placés sous ces bons Auguste, on tombe dans le panneau, tous leurs panneaux…

F.L.