Jeanne Dandoy

L’interview

Thriller poétique et chorégraphique pour une actrice-danseuse, une bonne fée à barbe, un enfant et quelques surprises… Merveille est l’histoire d’une résilience solaire, le trajet d’une mère qui extirpe son enfant des ténèbres pour les ramener, elle et lui, à la lumière d’une journée douce et, enfin, sereine.

 

Propos recueillis par Françoise Laeckmann

 

L’actrice et metteuse en scène namuroise Jeanne Dandoy revient avec un nouveau spectacle fort et solaire : Merveille. Elle explique pourquoi elle a choisi de mettre en lumière une femme et son enfant, victimes de violences conjugales et intrafamiliales. Le titre est un clin d’œil sororal à l’asbl du même nom qui regroupe des mères qui veillent…

 

Pourquoi avoir choisi d’aborder la thématique des violences conjugales et intrafamiliales dans Merveille ?

« Parce que cela concerne énormément de femmes, quatre femmes sur dix. Et en fait, quand on dit “quatre femmes sur dix”, ça concerne aussi beaucoup d’enfants ! C’est énorme et cela me touche particulièrement. Cela me semblait important d’aborder cette problématique et juste de faire œuvre de fiction dans un genre – le thriller – également rare au théâtre. »

 

Et de montrer les mères mais aussi les enfants ?

« Oui, c’était important tout simplement parce qu’en fait, on ne les voit jamais ! Ces choses-là ne sont jamais mises sur un plateau de théâtre, ou alors dans une forme de fiction-documentaire. C’est comme si ce sujet ne “méritait” pas les formes dites plus “nobles”, et je mets mille guillemets, avec plus de moyens, de grands plateaux, un décor, des figurants, avec de l’argent, en fait. Comme si, aussi, il fallait d’office tuer les héroïnes de ces fictions-là. Contrairement au héros qui, en général, est l’inspecteur très malin ou le criminel. Dans la réalité, les vraies héroïnes, ce sont ces mères. »

 

Dans Merveille, la mère sauve son enfant, et elle se sauve elle-même ?

« Je voulais parler de la résilience, et du fait qu’on peut s’en sortir. Déjà, on ne parle déjà pas assez de celles qui meurent, mais en fait, il y en a aussi plein qui s’en sortent car elles ont arrêté d’attendre. D’attendre que la situation s’arrange, d’attendre que “ça se tasse”, d’attendre que la douleur passe, d’attendre les beaux jours, d’attendre le “Prince charmant ”. Et de celles-là, on n’en parle jamais. Je pense que si on avait plus de modèles de femmes, de ces héroïnes du quotidien, qui s’en sortent, peut-être qu’il y en aurait encore plus qui s’en sortiraient ! Personnellement, j’ai eu de très mauvaises héroïnes ! Petite fille, j’étais fan de la Petite Sirène d’Andersen, qui se sacrifie complètement pour son prince. Elle se transforme en écume et va heurter le bateau du prince lors de la nuit de ses noces avec une autre… C’était ça, mon héroïne et cela n’amène pas à grand-chose. Donc, après il faut faire un gros travail sur soi pour “se décoloniser le cerveau”, pour se dire : “Cela ne me convient pas. Cela m’amène à faire de très mauvais choix dans ma vie, à reproduire des choses sur scène que je n’apprécie pas.” Je suis autrice et je suis aussi actrice et j’ai joué énormément de personnages. J’ai incarné des héroïnes qui ne me conviennent plus. Je les ai incarnées dans ma chair : qu’on frappait, qu’on violait, qu’on violentait, qu’on traînait par terre, tout ce qu’on peut imaginer. Et je commençais à me poser des questions : pourquoi c’était toujours ça qu’on montre et pourquoi jamais autre chose ? Alors que les hommes peuvent s’identifier à d’autres récits. Certes, j’ai joué de magnifiques rôles, mais toujours des archétypes féminins… Mais j’ai foi en la prochaine génération ! Et chez les hommes, les femmes et tous genres confondus, je vois qu’il y a une réflexion beaucoup plus importante et qu’il est possible d’avoir d’autres modèles ! »

 

Pour ce projet d’une héroïne résiliente, vous avez fait le choix narratif de peu ou presque pas de paroles, mais de chorégraphie et de quelques joyeux tubes des années 1980. Pourquoi ?

« Ces phases d’irréel sont introduites via le personnage onirique de la fée, qui entonne des reprises de chanson disco des années 80 comme Tainted Love, dans des scènes qui tranchent drastiquement entre l’ambiance lourde du thriller et celle de la comédie musicale, tout en joie et en célébration comme des bulles de respiration et une image de l’univers intérieure de la Merveilleuse. Parce que la violence agit comme un paralysant sur le cerveau, que la souffrance va au-delà des mots, on reste juste sans voix, et pour mettre en lumière la part joyeuse et les rêves de cette jeune femme, cette part de beauté en elle dont l’agresseur n’est jamais arrivé à prendre le contrôle. De l’ombre à la lumière, on va suivre le parcours, tout en tension, de cette vraie maman courage et solaire qui va se reconstruire peu à peu et finir par s’en aller. On montre quelle force et quel courage sont nécessaires pour faire ce parcours d’une Merveilleuse qui décide qu’en fait maintenant ça va aller bien et qu’elle va être actrice de son destin. C’est ce type de récits que j’ai envie d’amener au monde et attention, ça concerne les hommes aussi ! Parce que je pense que ça doit parfois être bien pénible de se lever en se disant qu’on doit être un prince charmant…

 

Pour ce spectacle hors barrière linguistique, je souhaite vraiment de tout mon coeur qu’ils et elles se sentent bienvenu.e.s et reçoivent cette expérience comme vraiment aussi conçus pour iels!”