Comédie de Bruxelles: toi, toi mon «Toâ »!

Le Soir / MAD

Comédie de Bruxelles: toi, toi mon «Toâ »!

 

Habitué à illuminer la période des fêtes avec une comédie, Daniel Hanssens jette cette année son dévolu sur Sacha Guitry avec un vaudeville classique mais virtuose. A Bruxelles, Spa, Ottignies, etc.

 

Il en va du théâtre comme des habits : si on les a soigneusement conservées dans un placard et si, au moment de les ressortir, on les assemble avec soin en y ajoutant quelques touches de fraîcheur, certaines pièces passent aisément du statut de « vieilleries » à celui de « vintage ». Si l’on sait y faire, un petit pull des années 70 ou un vaudeville des années 40 peuvent avoir un cachet fou ! La preuve avec Toâ de Sacha Guitry. Ecrit en 1949, ce théâtre de boulevard passe étonnamment la rampe en 2022.

 

Grâce au savoir-faire de Daniel Hanssens, qui est à la comédie ce que Marcolini est au chocolat, les amants et maîtresses frivoles, les portes qui claquent, le ballet des domestiques, et tout ce qui pourrait sembler suranné prend un tour parodique et cocasse qui vous enveloppe dans un divertissement taillé sur mesure pour la période des fêtes. La mise en scène baigne l’intrigue dans son jus – décor réaliste, majordome en gilet, femmes aux toilettes chatoyantes – mais parvient à transcender la légèreté apparente de Guitry pour ciseler sa langue facétieuse et surtout faire rugir la mécanique rutilante de ses quiproquos et autres pirouettes de l’intrigue. On y découvre l’auteur, comédien et metteur en scène de théâtre à succès Michel Desnoyer (double de Sacha Guitry incarné avec un flegme ravageur par Daniel Hanssens) en pleine dispute avec sa compagne du moment, Ecaterina (formidable Christel Pedrinelli).

 

Du théâtre dans le théâtre

Une dispute dont on ne comprend pas tout de suite la raison mais qui mène à la rupture du couple et inspire à Michel la trame de sa prochaine comédie. Ce qui nous mène, dans le deuxième acte, à la représentation de ladite pièce : le décor est le même sauf qu’il s’agit cette fois de tout rejouer pour de faux avec la séduisante Françoise (suave Stéphanie Van Vyve) dans le rôle de la maîtresse de Michel (celle-là même – on le comprend alors – qui a provoqué le courroux d’Ecaterina). Soudain présente parmi nous, dans le public, la sanguine Ecaterina lance des invectives aux acteurs, interrompant sans cesse (et avec beaucoup d’humour) la représentation tandis que, sur scène, tout le monde, de Michel, l’auteur et comédien, à Maria, la bonne, jouent leur propre rôle. La machine du théâtre dans le théâtre carbure tant et si bien qu’on ne sait plus très bien, à la fin, distinguer le vrai du faux. Il faudra le troisième acte, où l’on croise plus longuement le mari de Françoise, forcément cocu lui aussi (truculent Marc Weiss) pour dénouer, à coups de révélations imprévues, les fils du quatuor infernal.

 

Avec des rôles équilibrés, la pièce semble épargnée par les saillies misogynes qui ont fait la réputation de Sacha Guitry. Impossible de dire ici qui, des hommes ou des femmes, remporte la palme des trahisons amoureuses ou des répliques assassines. Chacune et chacun y va de ses manigances et de ses ripostes spirituelles pour servir l’impeccable horlogerie de la pièce. Mention spéciale à Marie-Hélène Remacle, absolument désopilante en domestique d’une déférence outrée et espiègle. Non seulement divertissant, ce Toâ s’avère également fraternel puisque la Comédie de Bruxelles organise une soirée réservée aux membres du personnel soignant (le 20/12) mais propose aussi, en partenariat avec les CPAS, des places gratuites pour les plus démunis le soir du réveillon (le 24/12). Avec Daniel Hanssens, le théâtre joue côté jardin et côté co(e)ur.

 

Source: Le Soir / MAD