La psychiatre Caroline Depuydt donne des clés pour prendre soin de sa santé mentale

Annick Hovine, LaLibre (12-02-2024)

C’est difficile, au fond, de ne pas être anxieux dans ce monde qui marche sur la tête. Mais à partir de ce constat, qu’est-ce qu’on fait ?” La psychiatre Caroline Depuydt donne des clés pour prendre soin de sa santé mentale et naviguer dans un contexte de crise permanente.

 

Directrice médicale adjointe à Epsylon et psychiatre à la clinique Fond’Roy, à Uccle (Bruxelles), le docteur Caroline Depuydt ouvre sa boîte à outils pour prendre soin de sa santé mentale.

 

Dans un monde qui marche sur la tête, comment aller bien ? Dans une période marquée par des crises continues, comment ne pas se laisser dévorer par l’anxiété ? Comment ne pas basculer ? Directrice médicale adjointe à Epsylon et psychiatre à la clinique Fond’Roy à Uccle (Bruxelles), le docteur Caroline Depuydt explore depuis des années les capacités extraordinaires du cerveau à (re)trouver le calme. À l’occasion d’une conférence qu’elle donnera le lundi 19 février à Bruxelles*, “Naviguer dans un monde en crise”, elle évoque, dans un discours accessible et positif, des clés pour prendre soin de sa santé mentale.

 

Au départ, il y a un constat, qui vaut pour l’Europe occidentale. “Le monde est dans un état d’anxiété massif, lié à cette crise permanente qu’on subit depuis quelques années et qui ne nous laisse pas de répit : la pandémie de Covid, l’invasion de l’Ukraine, la flambée des prix de l’énergie, l’inflation, l’attaque du Hamas, la guerre à Gaza, la montée de l’antisémitisme et/ou de l’islamophobie… Tout cela vient directement nous impacter sur notre territoire à nous et dans nos maisons à nous. C’est en tout cas ce que je vois dans mes consultations. Cette inquiétude et ce stress permanent nous épuisent.”

 

La petite gazelle et le lion

À l’inverse, un stress aigu, c’est quelque chose d’extrêmement positif, qui nous permet de survivre, explique le docteur Depuydt. “Quand une gazelle est en train de brouter et qu’elle voit un lion courir droit vers elle, heureusement que son système de stress se met en route. Pour sa survie, elle active son système orthosympathique de fuite.” Braver le roi de la jungle serait vain : le lion ne ferait qu’une bouchée de la petite antilope.

 

Face à un danger, il y a trois types de réaction, détaille la psychiatre : “fight” (le combat), “flight” (la fuite) et “freeze” (la paralysie) – les 3 “f”. “Le freezing, c’est ce que vivent les victimes de viol. Elles n’arrivent plus à réagir et leur système de survie, c’est de faire semblant d’être mortes en espérant s’en sortir.” Ce que font aussi certains animaux : “Un petit lézard qui court s’arrête net et se fige une fois qu’il repère notre présence. Il fait semblant qu’il n’est pas là pour tenter d’échapper à notre contrôle”, poursuit la psychiatre.

 

”On y repense et on passe une nuit blanche”

Ces modes de défense viennent de la nature. Le docteur Depuydt retourne dans la savane pour prolonger sa démonstration. “Quand la petite gazelle, rapide et véloce, a échappé au lion, que fait-elle ? Elle tremble, elle s’ébroue et se secoue. Elle évacue ainsi ses hormones de stress. C’est un temps de récupération dont elle a besoin parce que son organisme a été mis à rude épreuve : les muscles ont dû se bander, il y a eu des lésions musculaires, le cœur a pompé… Ensuite, elle reprend sa vie normale et se remet tranquillement à brouter. “

La difficulté de nos sociétés et de nos organismes, c’est que le stress est permanent et qu’on n’a plus d’occasions de récupération de ce stress, ajoute-t-elle. Dès potron-minet, il y a l’agression du bruit du réveil, les enfants qui rechignent à se lever, les embouteillages, le boss qui n’est pas content, le métro en panne… Les petits stress s’accumulent tout au long de la journée. À cela s’ajoute un deuxième gros problème : “Nous sommes des animaux pensants. En plus du stress extérieur qui nous envahit constamment, on a notre système de pensée qui s’enclenche : on repense aux trains en retard, au patron de mauvaise humeur, à l’ami qui ne va pas bien… et on passe une nuit blanche.”

 

On vit sur ses réserves et, à un moment, on craque…

La pensée qu’on a sur ce stress réactive tout le système de stress et un cercle vicieux s’enclenche. “C’est là qu’on passe du stress aigu, positif parce qu’il permet la survie, au stress chronique. On vit alors sur ses réserves et, à un moment, on craque et c’est l’épuisement, le burn-out, la dépression, l’anxiété massive.”

 

C’est en comprenant ces mécanismes, en raccrochant les signaux qu’on vit dans son corps à ce qu’ils signifient, qu’on peut retrouver le pouvoir d’agir et actionner des pistes pour essayer de ne pas se laisser déborder, explique le Dr Depuydt. “Ce que je veux faire, par cette conférence, c’est donner des pistes. L’enjeu, il est là. On ne peut pas dénier le fait qu’on est dans un monde d’anxiété permanente, alimenté par l’infobésité, le rythme de vie accéléré et toutes les injonctions de performance auxquelles on est soumis. On y est tous confrontés. C’est difficile, au fond, de ne pas être anxieux. Cette prise de conscience, sans culpabilité, est un premier pas très important. L’anxiété, c’est un message qui est OK. Mais à partir de là, qu’est-ce qu’on fait quand cela nous déborde ?”

 

Des outils complémentaires, “ni magiques, ni miraculeux”

Les professionnels n’arrivent pas à faire face, observe la psychiatre. Un Belge sur quatre consomme des psychotropes antidépresseurs et des benzodiazépines contre l’anxiété. “Ce sont des traitements précieux, qui nous aident ponctuellement, mais visiblement ce n’est pas suffisant. Sinon, ça se verrait : on aurait moins de dépressions, de burn-out, de grosses crises d’angoisse. Nous devons donc ouvrir nos perspectives.”

 

Comment ? “En voyant ce qu’on peut faire soi-même, en tant que personne soumise à cette anxiété. Moi, comme professionnelle, je propose une boîte à outils. Ils sont complémentaires aux médicaments et accessibles à n’importe qui.”

 

Ils ne sont “ni magiques, ni miraculeux”, mais viennent simplement aider à se mettre en mode récupération et régénération à certains moments de sa vie. “S’autoriser cela permet de calmer son cerveau et de le rendre plus cohérent.” Le cerveau, c’est comme un chef d’orchestre : si tous les instruments jouent n’importe comment, c’est la cacophonie ; en revanche, si on les fait s’accorder, s’écouter et jouer la même partition, cela donne une musique fabuleuse, illustre le docteur Depuydt. “Un cerveau cohérent sera lucide, plus calme, plus serein et prendra intuitivement des décisions plus éclairées pour activer ses capacités d’auto-soin et d’autoguérison.”

 

– > * Le lundi 19 février 2024 à 20 heures au Centre culturel d’Uccle, entrée gratuite mais réservation obligatoire via www.ccu.be ou 02/374.64.84

 

Annick Hovine

Lalibre, le 12-02-2024