Téléphone-moi est une fresque familiale qui traverse le siècle. Tout s’y déroule dans des cabines téléphoniques, l’amour et la violence. C’est là qu’éclate la vérité et que s’échafaudent les mensonges, là que tout prend vie et que l’on meurt aussi. Traversant les époques, depuis la libération de Paris jusqu’à la victoire de Zidane en 98, on recolle peu à peu les pièces de ce puzzle généalogique, où prennent corps les pouvoirs invisibles et mystérieux de la transmission intergénérationnelle.
L’exposition Déconnexion installée en parallèle au spectacle Téléphone-moi sera visible du 3 au 24 octobre.
La pièce de théâtre Téléphone-moi c’est l’histoire de trois destins sur trois générations. La cabine y est représentée à chaque fois dans son modèle de l’époque, elle devient l’élément clef de la pièce. Les auteurs et metteurs en scène, Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé, de la compagnie Fouic Théâtre, m’ont invitée pour une collaboration artistique autour de cette boîte légendaire.
La cabine, par définition, est un espace minuscule posée sur un trottoir et adaptée pour un seul individu, elle est destinée à isoler du bruit afin de pouvoir tenir à l’extérieur de chez soi des conversations privées à l’abri des intempéries. Elle concentre à elle seule des millions d’histoires intimes au travers des appels passés, mais aussi les histoires qui se sont déroulées en son sein. Je me rappelle avoir attendu dedans des heures, priant que personne ne vienne passer un coup de fil, pour recevoir celui de mon amoureux… je me souviens aussi de celle choisie par un SDF pour y passer ses nuits. La cabine est une source d’inspiration et sa disparition est la conséquence d’une société devenue hyperconnectée et mobile. Il y a encore 20 ans, la France comptait près de 300 000 cabines au titre du « service universel » téléphonique. Depuis 2018, elles ont disparu de nos paysages. Le smartphone a donc remplacé le combiné téléphonique. Celui-ci nous permettait de nous relier les uns aux autres, de sortir pour téléphoner, on se donnait rendez-vous pour s’appeler… contrairement au mobile qui, par ses multifonctions et sa diffusion semble plutôt nous isoler. Regardons dans la rue ou sur les terrasses de café, nous sommes reliés à nos portables en permanence.
Pourtant la connexion, c’est avant tout du lien. Nexus en latin signifie aussi bien unir, enlacer, qu’enchaîner ou emprisonner. Ce qui nous relie peut aussi nous entraver. Le lien, nous en avons besoin, mais c’est un comble que l’écran, c’est-à-dire étymologiquement « l’obstacle », soit devenu la principale médiation entre les êtres humains.
Au contraire, c’est parce que nous sommes séparés les uns des autres par la mobilité géographique et par le rythme de nos vies que nous avons besoin d’être reliés, malheureusement virtuellement, par les réseaux sociaux.
Les photographies que nous souhaitons réaliser, inviteront les spectateurs à penser la place et l’utilisation dudit « téléphone », dans son usage originel, au cœur d’une société hyperconnectée. Elles questionneront et illustreront les conséquences du mobile sur nos relations sociales. Pour marquer l’évolution de son usage, nous allons nous amuser à remplacer le smartphone par la cabine téléphonique, dans des situations de la vie quotidienne et mettre ainsi en lumière la place disproportionnée qu’il a pris dans nos existences.
L’idée, c’est de donner à voir l’absurdité du monde contemporain piégé par l’emprise d’une connexion constante, et qui a pour conséquence, paradoxalement, l’isolement des êtres.
À l’instar du cinéaste Roy Anderson qui nous raconte la société de masse contrainte, soumise et vulnérable en un seul plan : il pleut, la rue est vide et les travailleurs sont tous agglutinés sous un abribus, silencieux.
Ainsi, avec la compagnie Fouic Théâtre de Jean-Christophe Dollé et Clotilde Morgiève, nous sillonnerons ensemble différentes zones de la Région Bourgogne-Franche-Comté et le territoire de Château Gontier au gré des collaborations, nous créerons du lien avec les habitants du territoire avec qui nous réfléchirons nos créations et mises en scènes artistiques. Nous souhaitons fabriquer des images dans les appartements d’immeubles HLM, dans des bureaux, des cafés, des champs, des rues, des supermarchés… en somme : les endroits communs. Ainsi il est possible de s’associer tant avec les dispositifs « politique de la ville » dans les zones citadines prioritaires, qu’avec les communautés de communes de la ruralité.
La compagnie dispose d’une réplique de cabine téléphonique démontable. Ainsi, pour exemple, nous pouvons facilement envisager la scène d’une mère au foyer chez elle, une casserole à la main, passant un coup de fil enfermée dans sa cabine téléphonique posée dans sa cuisine sous les yeux ébahis ou dans l’indifférence totale des enfants et du mari.
Je souhaite que les scènes soient très parlantes, cocasses et directes. L’absurdité, l’humour, l’incongruité seront les maîtres mots de notre orientation visuelle. Fidèle à mon travail depuis 20 ans qui raconte le quotidien des français, la banalité de la vie des êtres ordinaires que nous sommes tous, ce projet s’inscrit pleinement dans ma constante recherche de la place de l’humain dans un monde standardisé et formaté.
Stéphanie Lacombe en quelques mots
Stéphanie Lacombe est née en 1976 à Figeac, dans le Lot. Elle est diplômée de l’école Nationale supérieure des Arts décoratifs (ENSAD). Ses travaux sont exposés en France, en Argentine, en Finlande, à Hong Kong et publiés par de nombreux magazines et quotidiens, parmi lesquels la Revue XXI, l’Obs, Courrier International, Le Monde.
Elle transmet son expérience de femme photographe à l’occasion de workshops menés auprès d’institutions publiques et privées : la Fondation Cartier, les Ateliers du Carrousel, le pôle photographique Diaphane, La maison Robert Doisneau, Les rencontres d’Arles.
Prix Niepce (2009) elle est lauréate du prix L’OBS (2020), de la Fondation Lagardère (2006), a reçu le Grand prix de la photographie documentaire et sociale de Sarcelles (2008).
En 2001, Sebastiao Salgado lui remettait le prix spécial du jury Agfa.