Un dialogue attendrissant et non dénué d’humour, entre un fils et son père, une marionnette et son créateur.
Dans Parti en fumée, Othmane Moumen tente de déchiffrer l’énigme de son père. Il y a six ans, on lui a diagnostiqué un cancer des poumons en stade 4… le stade terminal. Depuis, il ne lui reste qu’un poumon. Pourtant, son père est toujours là. Comme un sursis inespéré. Et il continue à fumer clope sur clope. « Le poumon, c’est l’organe de la tristesse chez les Chinois, paraît-il. Alors, je me demande… Pourquoi il s’inflige ça ? Pourquoi il n’arrête pas ? Les questions affluent dans ma tête, face à ce papa qui ne parle pas. Pourquoi a-t-il migré un jour ? Pourquoi ne bouge-t-il plus aujourd’hui ? Pourquoi refuse-t-il de repartir ? Ce n’est pas facile de lui tirer les vers du nez. La pudeur des pères, quoi ! Mais je suis allé l’interroger. Je l’ai enregistré. J’ai sa voix. Elle est là, dans la boîte, prête à être utilisée. » Vite, avant qu’il ne parte définitivement en fumée.
L’amour d’un fils pour son père avant que ce dernier ne soit “Parti en fumée”
Pour son spectacle “Parti en fumée”, Othmane Moumen a créé une marionnette, double de son père, avec laquelle il raconte la vie de cet homme aujourd’hui atteint d’un cancer des poumons de stade 4.
Aussi loin qu’il s’en souvienne, Othmane Moumen a toujours connu son papa une cigarette aux lèvres. Il y a sept ans, on lui a diagnostiqué un cancer des poumons de stade 4, le stade terminal. Depuis, il a subi l’ablation d’un poumon. “Pourtant, il continue à fumer clope sur clope et est toujours en vie”, s’étonne le comédien.
Face à “cette énigme” de la vie, Othmane Moumen s’est saisi de “ce sursis inespéré” pour s’immerger dans la vie de son papa, émigré marocain à la fin des années 60. “Je veux soigner sa sortie et tenter de le raconter”, confie-t-il au public sous la forme de lettres blanches projetées sur un rideau foncé qui camoufle le fond de la scène de la grande salle des Tanneurs.
Le poumon, organe de la tristesse
C’est, en effet, une forme toute particulière qu’offre Othmane Moumen avec son seul-en-scène Parti en fumée. Comédien doué, réputé, notamment, pour ses nombreux rôles iconiques (Passepartout dans Le Tour du Monde en 80 jours, Chaplin, Scapin dans Scapin 68, Elephant Man, Arsène Lupin, etc.) et son agilité détonante sur scène, il exploite, ici, plus en profondeur, une autre facette de son talent : le mime, avec, et c’est une première, l’appoint de la marionnette.
Pour seule voix, on n’entendra que celle de son papa, qu’Othmane Moumen a longuement interrogé et enregistré, en amont de son spectacle. Une voix chargée de souvenirs – le plaisir qu’il a ressenti en inhalant ses premières bouffées de cigarette, son exil vers la Belgique, sa carrière comme chauffeur à la Stib (”le bus m’a cassé le dos”), ses rêves manqués, les vacances au Maroc, la danse… – mais aussi empreinte de mélancolie, de tristesse. “En médecine chinoise, le poumon est l’organe de la tristesse”, apprend-on. Certaines personnes peuvent ainsi contracter des maladies voire des cancers.
Pour entrer en dialogue avec ce papa terriblement fier et pudique, Othmane Moumen a créé son double sous les traits de trois marionnettes : l’une, silhouette fragile à taille humaine, dans laquelle il se glisse avec douceur pour la manipuler – reflet de son papa affaibli par le cancer – ; une autre, un masque imposant, qui prend l’expression du visage paternel, lorsqu’il était dans la fleur de l’âge ; et une dernière, sorte de mini-papa, prête à s’envoler vers d’autres cieux.
Magnifiques jeux de lumière
Pour déposer ce récit de vie, intrinsèquement lié à ses propres questionnements sur l’identité, la transmission, l’amour, la vie, la mort…, Othmane Moumen a collaboré avec sa complice de longue date, Jasmina Douieb, ici, investie de la mise en scène, qu’elle a imaginée dans un espace au plateau resserré, créant un véritable écrin pour accueillir ce petit bijou théâtral.
Il n’est pas toujours besoin de longs palabres pour conter l’intime. Et Othmane Moumen a vu juste en s’abstenant de tenir le crachoir. L’émotion et l’humilité affleurent dès l’entame du spectacle. Il y a la voix de ce papa, portée, au fil de la pièce, par une envoûtante musique aux accents orientaux. Puis, il y a ces moments de silence, éloge de la lenteur, où la gestuelle, bienveillante et touchante, d’Othmane Moumen raconte plus que les mots ne le pourraient. Et, quand une pensée doit être développée, elle s’affiche en quelques lignes sur le fond de la scène.
Inattendu, Parti en fumée est aussi très onirique. La mise en scène, astucieuse, s’accorde parfaitement avec la délicate scénographie de Charly Kleinermann et Thibaut De Coster, rehaussée par les magnifiques jeux de lumière en clair-obscur de Charlotte Persoons.